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que du connu. Point de contenu sans le contenant. Il ne reste à élever sur la r'ilosophie qu'une question d'étendue ou de quantité. Elle existe par le fait, elle est bien, ainsi qu'on l'a dit, science de la science mais jusqu'où va-t-elle ? Cela seulement est problématique. Ici encore constatons des faits. Une fois que nous observons l'esprit humain, si nous le contemplons dans son histoire, nous le trouvons rempli et presque comblé de richesses ou de productions intellectuelles, idées, opinions, croyances, dogmes, systèmes. Comme faits, ce sont choses dont il est impossible de ne pas chercher le sens, la liaison, l'origine, le fondement; ou il existerait des objets réels et naturels qui ne correspondraient à aucune science. Si l'on considère l'esprit humain dans sa nature, on y retrouve à un état de pureté plus grande, sous une forme plus rigoureuse ou plus abstraite, comme des données primitives ou comme des résultats nécessaires de l'activité spirituelle, toutes ces notions qui n'existent historiquement qu'à titre de préjugés, d'enseignements ou de traditions. A ce point de vue, l'objet des philosophies, fondement préalable des religions, se retrouve comme étant tout aussi légitimement proposé à notre connaissance, à notre investigation méthodique, que tous les phénomènes percevables; et les sciences philosophi- · ques se montrent investies d'autant de droits tout au moins à l'existence et à la puissance qu'aucune des sciences données pour exclusivement expérimentales, et comme telles, pour seules dignes d'être nommées. Nous ne plaidons ici la cause d'aucune solution.

On nous soutiendrait que la philosophie n'est pas plus avancée que la science du système du monde avant Newton ou la chimie avant Lavoisier; on nous prouverait qu'elle est encore dans l'état présent de la physiologie ou de toute science au berceau, peu nous importerait. Il s'agit de l'essence de la science et non de ses progrès. Il nous suffit d'avoir montré qu'en partant de la psychologie, ou plutôt d'un fait simple d'observation immédiate, la philosophie s'étend à tous ces points de l'empire intellectuel dont on veut faire quelquefois l'Atlantide ou le Cathay d'une mappemonde imaginaire.

Cela dit, il n'est ni permis ni possible de supprimer la philosophie même métaphysique, c'est-à-dire au vrai le fond de la physique. Ce ne serait pas élaguer l'arbre, ce serait en couper les racines. Ce serait priver d'appui les sciences mêmes qu'on prétendrait conserver. On peut préférer celles-ci; on peut trouver tantôt plus agréable, tantôt plus facile, tantôt plus utile de classer des pierres ou des plantes que des idées, d'analyser des corps que des raisonnements, d'observer des organes que des facultés, de mesurer des mouvements que d'évaluer des raisons. On peut, au nom de l'intérêt individuel ou social, assigner le premier rang à l'étude de tout ce qui est accessible aux sens; on n'est pas tout à fait obligé de dire comme Leibnitz: « Il n'est pas nécessaire de vivre, mais il est nécessaire de penser. »> Mais si cette prédilection devenait exclusive et permanente, ce ne serait pas seulement un dommage scientifique et une perte intellectuelle. La doctrine

de Bacon interprétée par l'empirisme pur, ne faisant aucun compte de tout ce qui n'est pas du ressort des sens, reléguant au nombre des spéculations chimériques tout ce qui est à priori dans les idées de l'espèce humaine, ne pourrait tenir pour réel rien de ce qui est tenu pour sacré, et la notion du droit n'aurait pas plus de valeur qu'aucune des conceptions arbitraires de la scolastique. Ces mots baconiens d'empire de l'homme sur l'univers ne seraient qu'un nom magnifique de l'industrialisme. La maxime: La science est un pouvoir, devrait s'entendre en ce sens : La science est la force. Ce sont en effet des abstractions que la justice, l'égalité, la liberté. Aucune de ces choses n'a été un fait d'expérience, apparemment, pour cette foule de générations inhumées dans les champs de l'histoire. Si l'induction servait de fondement unique au vœu le plus généreux des nations, elle serait elle-même faiblement motivée. Empirisme, réalisme, positivisme, industrialisme, tous ces mots ne désignent qu'une vue partielle des choses humaines. Une science ainsi mutilée place dans la société économique toute la société politique, et réduit au perfectionnement de la mécanique appliquée la victoire de la science sur la matière. A ce compte, toute cette libération fameuse de la renaissance n'aurait véritablement affranchi que nos bras et nos mains. L'émancipation promise n'aurait été que la transformation du travail. Les hommes sont un peu plus les maîtres de la nature; ils ne le sont pas devenus d'eux-mêmes. Et vous, frivoles et téméraires intellectualistes, rêveurs d'idées, tisseurs des fils impal

pables, que, nouvelle Arachné, dévide la raison pure, vous avez égaré la science humaine en proclamant les droits de l'humaine espèce. Vous ne nous entretenez que d'inventions logiques vos fictions sont des idoles de théâtre. Rentrez dans la même poussière où gisent les Albert et les Scot, et que 1789 retombe enseveli dans la même nuit que le moyen âge.

Ou plutôt, ne serait-ce pas le moyen âge qui va renaître, et déjà se rouvre son tombeau. Si la raison, si la science déserte ces plages vastes et brillantes où la philosophie a marqué ses traces, le gros de l'humanité ne les abandonne pas. Toutes ces choses, que par l'examen et la méditation nous cherchions à connaître en les dégageant de l'erreur et de l'illusion, ne disparaissent pas à volonté de l'esprit humain. Elles y restent du fait de la tradition, si ce n'est plus du droit de la science. Elles s'y conservent et s'y développent sous la forme que leur donnent l'imagination, l'irréflexion, la passion et l'habitude; le préjugé renaît à la place de la vérité. Dans ce champ dont l'art délaisse la culture, repoussent à l'état sauvage, privées peu à peu de leurs fleurs perfectionnées et de leurs fruits les meilleurs, toutes ces plantes qu'on n'extirpe pas en les négligeant, et la tradition des siècles de ténèbres reprend de l'audace et de l'empire devant une science qui s'intimide, devant une raison qui abdique. L'empirisme sans philosophie rend le sceptre et la vie au dogmatisme sans philosophie; l'autorité se relève là où avait triomphé l'examen, et l'œuvre de la renaissance est détruite.

Tel est le terme fatal vers lequel marche cette

école scientifique qui se croit l'extrême gauche de la science. C'est en ce sens que travaillent tous ceux qui, avec plus de légèreté et d'un ton moins péremptoire, exaltent, au mépris de ce qui leur semble vaine curiosité spéculative, l'unique savoir des choses matérielles. Cette récusation, tour à tour humble ou dédaigneuse, des sciences philosophiques par les sciences qui prennent d'autres titres, ne tourne pas avec le temps au profit des unes plus que des autres. Jamais pourtant un philosophe digne de ce nom n’a contesté les droits ni la grandeur des sciences de la nature. Sans être Descartes ou Leibnitz, on peut concevoir et admirer la puissance des mathématiques, et celui qui s'en ferait une médiocre idée serait bien médiocrement philosophe. La physique générale et l'histoire naturelle enrichissent la philosophie sans la détruire ni la remplacer, et leurs progrès servent à rendre plus vive la lumière qui se répand dans toutes les parties du monde intellectuel. Plus il y a de flambeaux, plus on y voit clair. Il ne s'est point rencontré de vrai métaphysicien qui se fit gloire de nier les sciences, et qui n'eût même quelque idée de leurs méthodes et de leurs résultats. Le métaphysicien comprend du moins ce qu'il ne sait pas. Il ne demande que la réciprocité.

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Il est temps de revenir à Bacon. On ne peut contester que l'esprit général de sa philosophie, cherché surtout dans ces sentences absolues ou ces critiques hautaines qu'il adresse à certaines écoles métaphysiques, ait pu guider, encourager du moins, la

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