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Russe s'était rendu coupable de concert avec lui. En décembre 1828, le khan étant allé chasser à Koungrat, Grouchine l'y accompagna alors il projeta, avec Tikhan Rêsanoff et deux autres Russes, de s'enfuir le 24 de ce mois. Le khan possède dans les environs de Koungrat, ville détruite, une maison dans laquelle il passe le temps de la chasse. Grouchine s'était fait dresser pour lui une tente hors de l'enceinte de la cour appartenant à cette maison, mais son emploi l'obligeait de coucher, ainsi que les grands de l'État, à l'entrée même de la chambre où reposait le khan. A peine la nuit du 24 décembre était commencée, et tous les Khiviens étaient plongés dans un sommeil profond, que Grouchine se leva, commanda de seller quatre argamaks ou chevaux de race turcomane, qui étaient près de sa tente, et conduisit hors de la cour trois des meilleurs qui appartenaient au khan. Il revenait pour en prendre un quatrième à la hâte, quand un des écuyers du khan, qui était également un Russe, se réveilla et l'appela. La conjoncture devenait difficile, car mille hommes, à peu près, dormaient dans la cour. Grouchine se dépêcha d'en sortir, monta en selle et s'éloigna avec Tikhan Rêsanoff; chacun d'eux tenait un second cheval par la bride. Les deux autres prisonniers n'avaient pas été été prêts à temps, et ce retard pouvait être très-nuisible pour Grouchine et pour Tikhan Rêsanoff, ainsi que pour les premiers; ceux-ci avaient avec eux toutes les provisions de bouche destinées à la petite troupe. Rê

sanoff et Grouchine, tous deux très-bien inontés et bien armés, coururent toute la nuit, et avant le point du jour atteignirent un enfoncement couvert de roseaux, où ils se tinrent cachés pendant la journée du 25 décembre.

La nuit suivante, ils poussèrent en avant, et aperçurent sur leur route un nombre considérable d'hommes et de chevaux : c'étaient vraisemblablement soixante-dix cavaliers que le khan avait expédiés à la poursuite des fugitifs, ainsi que ceux-ci l'apprirent depuis. Tous étaient couchés à terre et endormis, ou bien ils redoutaient la force et l'in trépidité de Grouchine. Si les fugitifs n'eurent pas à souffrir de ces ennemis, ils furent cruellement tourmentés par deux autres, la faim et le froid, qui bientôt leur ôtèrent toutes leurs forces, et les obligèrent d'aller à la recherche de quelque camp de Kirghiz, afin de sauver d'abord au moins leur vie. Ils réussirent, le 29 décembre, à atteindre des Karakalpaks qui gardaient un taboun (troupeau) de chevaux. Comme ils parlaient très-couramment le tatare (le turc), ils se donnèrent à ces pasteurs pour des Tatares qui avaient été obligés de s'enfuir de Russie pour échapper à une punition; ils ajoutèrent qu'ils revenaient sur leurs pas afin de s'informer à la frontière si, ainsi que leurs camarades qui étaient à Khiva, ils pouvaient espérer leur pardon, par suite d'une proclamation d'amnistie. Les pâtres leur donnèrent à manger, et remplacèrent, par un autre cheval, un argamak épuisé de fatigue.

Deux jours après, le 31 décembre, les deux Russes atteignirent un aoul situé sur les bords de la mer Caspienne, à 30 verstes, au sud de l'embouchure de l'Emba, et habité par des Karapalks, dont l'ancien s'appelait Tougounous-bey. Les fugitifs y furent accueillis très-amicalement; un des fils de l'ancien devait les conduire à Gourieff, ville à l'embouchure de l'Oural, s'ils consentaient à donner au père deux argamaks, leurs armes et quelques vêtements. La veille du jour fixé pour leur départ, voilà que le Kirghiz Koulataï arrive de Khiva avec une troupe de ses compatriotes; il avait, en 1826, servi de guide à Vouiss-Niês, envoyé de Khiva à Saraïtchik, sur l'Ou ral, et l'avait ramené à Khiva. Comme il était allé fréquemment dans cette ville, il reconnut tout de suite Grouchine, et dit que le khan donnerait volontiers à quiconque ramènerait ce Russe autant d'or que celui-ci pesait. Grouchine apprit aussi de Koulaque le khan l'avait fait poursuivre par soixantedix cavaliers, et que Fédoroff et Parsenoff, les deux autres esclaves, s'étaient également évadés heureusement. D'autres Kirghiz racontèrent qu'ils avaient vu deux Russes dans les environs de l'Emba et avaient voulu les arrêter, mais que ceux-ci avaient tué d'un coup de fusil un des chevaux des Kirghiz et continué leur route en suivant le cours de la rivière.

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Koulataï et trois autres Kirghiz enlevèrent ensuite les fugitifs des mains de Tougounous-bey, et se consultèrent entre eux pour savoir ce qu'ils en fe

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raient. « Si nous les ramenons à Khiva, se disaient»ils, Tchinghali Ourmanoff, notre sultan, qui est » ami des Russes, nous punira. Si nous les condui» sons en Russie, on nous demandera les vêtements, » les armes et les chevaux que Tougounous-bey » leur a pris. D'ailleurs, ce serait agir contre la religion. » Alors il fut résolu, comme le meilleur expédient, de tuer secrètement les prisonniers, quoique Tougounous-bey et plusieurs Kirghiz fussent d'opinion qu'il fallait les remettre à la frontière russe. Sous le prétexte de se conformer à cet avis, Koulataï et ses compagnons prirent avec leurs victimes le chemin de Gourieff; mais ils avaient à peine parcouru vingt verst qu'ils dépouillèrent Grouchine et Rêsanoff de leurs habits, et délibérérent de nouveau entre eux. Ce ne fut qu'à force de prières pressantes que les deux infortunés obtinrent la restitution de leurs vêtements. Mais leurs angoisses ne cessaient pas; car les bandits continuaient à s'entretenir secrètement sur le parti qu'ils prendraient à leur égard. Comme leur attention était moins fixée sur Rêsanoff que sur Grouchine, celuici conseilla à son camarade de tâcher de se glisser dans quelque aoul voisin, afin d'y chercher du secours. Heureusement que les Kirghiz ne s'aperçurent de la ruse que lorsque Rêsanoff était près d'atteindre l'aoul; aussitôt ils galopèrent après lui avec Grouchine.

En ce moment, les infortunés perdirent toute espérance; car les brigands leur demandèrent encore :

« Que préférez-vous, de mourir ici ou à Khiva ? » Naturellement, les fugitifs choisirent cette dernière alternative, puisqu'elle leur offrait un délai pour vivre un peu plus longtemps. Ils furent aussitôt menés à l'aoul de Doussan-Batyr, compagnon de Koulataï, qui demeure à une quinzaine de verst au sud des tentes de Tougounous-bey. Ils y avaient passé quatre jours dans des inquiétudes continuelles, lorsqu'un rayon d'espérance vint de nouveau luire pour eux. Les Kirghiz y apprirent que le sultan Irkek Ghali Karataïeff était instruit des aventures des deux fugitifs et voulait les délivrer. Aussitôt ils partirent avec eux pour Gourieff, où ils se flattaient d'obtenir une récompense en les remettant au poste russe. Mais atteints en route par des cavaliers que le sultan Irkek Ghali avait fait courir après eux, ils furent obligés de les suivre à l'aoul de ce sultan. Koulataï et ses compagnons reçurent en présent des chevaux pour leur bonne intention d'avoir voulu ramener les fugitifs chez leurs compatriotes. Grouchine et Rêsanoff, après avoir passé deux jours chez le bienveillant sultan à se réjouir d'avoir enfin recouvré leur liberté, prirent avec une escorte la route de Gourieff, où ils furent reçus par Tchinghali, le sultan régnant, qui les envoya à Orenbourg.

Après tant d'aventures et de souffrances, Grouchine, le célèbre pehlouvéne du khan de Khiva, vit tranquillement en bon bourgeois, dans sa maison, du produit d'un petit commerce,

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